Le huis clos islamophobe

« Certes, Anders Behring Breivik, l'auteur du massacre dans la même journée ensoleillée du 22 juillet 2011 de 77 personnes à Oslo et ensuite sur l'île d'Uraya en Norvège, n'était pas sain d'esprit. Il vivait avec l'obsession que l'islam était en train de grignoter la Norvège, l'Europe et le monde entier. Ses victimes n'étaient pourtant pas musulmanes, mais coupables simplement d'être trop libérales. Il lui fallait absolument « sauver l'Europe du marxisme et de ses prolongements: l'islamisation ». Son système de défense lors de son procès fur limpide : la « légitime défense» contre les « traîtres à la patrie » coupables contre les « traîtres à la patrie » coupables de « brader la société norvégienne à l'islam et au multiculturalisme ». Lors de l'enquête, les policiers constatèrent que les textes de Bat Ye' or dénonçant sous le nom d'Eurabia la conspiration islamique étaient la principale source d'inspiration du tueur. Behring Breivik en avait tiré la conclusion que seul un contre-jihad pouvait sauver le pays.

À moins d'un an d'intervalle, fin mars 2012, les habitants du sud-ouest de la France ont vécu dans une atmosphère de panique en apprenant l'assassinat en pleine rue de légionnaires à Montauban, sans raison apparente, par un homme circulant en deux-roues, puis la tuerie perpétrée par ce même homme casqué dans une école juive de Toulouse. Après qu'il eut été abattu par la police, on découvrira progressivement la dérive jihadisre de cet homme, Mohamed Merah.

Ces deux récits macabres de passage à l'acte criminel ne doivent pas être isolés. Le Français Merah et le Norvégien Breivik sont les deux faces de la même pièce ... de théâtre. Il n'y a pas d'un côté un crime islamiste qui s'inscrirait dans une logique terroriste et, de l'autre, un acte isolé, qui serait en quelque sorte sans cause autre que la folie, et ne devrait par conséquent pas se reproduire, comme le suggère Janne Haaland Matlary, politologue à l'Université d'Oslo: « C'était un crime isolé et personne ne ressent le besoin d'un virage sécuritaire. Cela aurait vraisemblablement été différent si cela avait été le fait d'un islamiste. » Cette fausse vision des choses est immergée dans l'imaginaire de l'islamisation. C'est le refus de voir d'abord que Breivik faisait partie de réseaux populistes anti-islamiques tout comme Merah était en contact avec des groupes islamistes. Ce qui, au fond, n'est pas essentiel.

On refuse de voir que des Breivik et des Merah peuvent surgir à tout moment parce qu'ils sont produits par un même système fantasmatique. L'imaginaire n'a plus besoin aujourd'hui de l'impulsion de réseaux terroristes pour pousser à l'action violente. Il suffit d'Internet et des médias en général. La plupart du temps, l'identification aux rôles antagonistes du jihadiste et du héros solitaire ne donne pas lieu à un passage à l'acte. Mais il suffit que l'on soit en présence d'une personnalité instable pour qu'un tel rôle soit vécu de façon extrême, comme encore à Toulouse à la mi-juin 2012 avec cet homme d'une trentaine d'années qui a soudain surgi dans une banque une arme à la main, prenant des gens en otage, se réclamant d'Al-Qaïda, sans essayer de s'emparer d'aucun magot. De telles actions n'ont rien à voir avec des plans terroristes concertés.

Dans ce théâtre paranoïaque qui s'est progressivement construit, chacun dispose maintenant d'une place naturelle. Quatre types d'acteurs se meuvent sur la scène de l'islamisation:

- Le héros solitaire en lutte contre l'islamisation, qui peut prendre une multitude de formes. Celle du journaliste qui catalyse en réalité dans sa personne un sentiment massivement partagé. C'est un « facilitateur d'opinion », un amplificateur d'imaginaire. Cette inversion fantasmée de majorité, le fait de se représenter comme minoritaire, voire solitaire, alors que l'on fait objectivement partie de la majorité, autorise, au nom du courage nécessaire pour braver un système aveuglé ou corrompu, à amplifier en réalité l'opinion commune. Des millions de téléspectateurs ont ainsi le sentiment chacun devant leur téléviseur d'être aussi seuls et aussi perspicaces que le héros dont ils admirent les prises de position chevaleresques. Mais le rôle du héros peut aussi être tenu par un blogueur indépendant, un abonné ou un éditorialiste de Riposte laïque (ou de tout autre site comme François Desouche ou encore l'Observatoire de l'islamisation), un fonctionnaire de police ou de l'Éducation nationale. Dans les cas les plus extrêmes ou les plus pathologiques, il peut enfin prendre le visage d'Anders Behring Breivik.

- Le peuple trompé est la masse indistincte prise à témoin par le héros solitaire lorsqu'il accomplit son œuvre. Mais tous les citoyens touchés par cette atmosphère paranoïde peuvent avoir le sentiment d'être trompés, de faire partie de cette masse que l'on « mène en bateau ».

 - Le traître à abattre. On aura reconnu le dhimmi (dont je serais moi-même un des plus « pathétiques» représentants si l'on en croit la plupart des sites proches du nouveau populisme européen), 1'« idiot utile », qui désigne tous ceux qui, parce qu'ils seraient multiculturalistes ou relativistes, seraient complices, voire coupables, du déclin européen.

- Le jihadiste qui est partout et nulle part, en survêtement comme en djellaba, en tailleur ou en burqa, indigène ou de souche européen ne, d'origine ou converti. Il est vicieux, combatif, mais en même temps paresseux, profiteur, et vise à conquérir l'Europe et le monde. Le membre revendiqué d'Al-Qaïda, le père de famille pieux, la fille voilée deviennent une seule et même personne. C'est l'occupant à combattre. C'est aussi à ce cliché que peut s'identifier, positivement cette fois, le jeune des cités en perte de repères afin de mener sa « révolte ».

Les rôles complémentaires (le jihadiste allié du traître, le héros allié du peuple) et antagonistes (le héros contre le jihadiste, le traître contre le peuple) de la scène de l'islamisation justifient tous les excès. C'est ce système qui est source de violence, plutôt que les réseaux en tant que tels qui ne peuvent exister que par ce système. L'islam y devient une image à la fois attractive et répulsive. Attractive pour les uns, certains jeunes des quartiers, justement parce qu'elle est répulsive pour d'autres, ceux qui croient voir une armée en ordre de marche.»

[Raphael Liogier, «le Mythe de l'islamisation»]

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